LE MYSTERE DES CHIFFRES
OU L'OPACITE DU SYSTEME FRANCAIS D'AIDE AU DEVELOPPEMENT
AVIS DE L'OPCF
Références bibliographiques: Observatoire Permanent de la
Coopération Française (OPCF). 1995.
Rapport 1995. Paris: Desclée de Brouwer
L'aide publique au développement de la France, tout au moins ce que l'on entend
habituellement par ce terme, souffre d'un manque de clarté aussi bien dans sa gestion que
dans ses objectifs. L'opacité se manifeste lors des diverses étapes du cycle de l'aide.
Dès la discussion et le vote de la loi de finances se pose le problème du contrôle
démocratique assuré par le Parlement. La question de l'APD n'est soulevée qu'au moment
de l'adoption du budget de la coopération qui ne concerne qu'environ 15 % des fonds de
l'APD. La part du ministère de l'Économie (plus de 50 %) n'est pas ou très peu
discutée. Le rôle du Parlement se réduit ainsi progressivement à celui d'une chambre
d'enregistrement. En outre, le budget exécuté diverge parfois sensiblement du budget
voté en raison des gels et annulations de crédits. Ces techniques budgétaires
renforcent un peu plus la tutelle du ministère des Finances. Au total, l'emploi des
deniers publics est marqué par un pouvoir quasi discrétionnaire du gouvernement.
L'opacité dans la gestion de l'aide se vérifie également à travers la complexité
du dispositif institutionnel. Plus d'une dizaine de départements ministériels sont
impliqués dans l'aide au développement. L'émiettement administratif nuit à la
lisibilité de l'ensemble de l'aide. Pire, une bonne part de l'énergie de
l'administration se perd en défense aux frontières, accentuant les tendances
schizophréniques.
La destination de l'aide met quant à elle en lumière l'existence de liens
clientélistes qui servent à entretenir les "amitiés" entre une partie de la
classe dirigeante française et les élites de certains Etats africains principalement. Ce
type de relations, dont la propension à l'opacité va de soi, conduit dans certains cas
à des dérapages plus ou moins contrôlés (détournement de l'aide, corruption). Il
arrive même que l'aide revienne à son point de départ, la pratique de la "valise
à billets" servant à attirer la sympathie des candidats et élus français.
Le contrôle de l'utilisation de l'aide enfin a fait preuve d'insuffisances. La Cour
des comptes a eu l'occasion de souligner dans le passé les graves carences du contrôle
interne de l'administration. Si les choses ont apparemment évolué à ce sujet, les
institutions de contrôle s'attardent toujours peu sur la gestion et les résultats des
projets sur place.
En fin de compte, si le contrôle et au-delà l'information sur l'APD laissent autant
à désirer, c'est qu'elle relève en dernier lieu de la haute main de l'exécutif.
Le"domaine réservé" court-circuite à sa guise les principaux contre-pouvoirs.
Que reste-t-il du droit de contrôle dont dispose chaque citoyen à la lecture de
l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : "Tous les
citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la
nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre
l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la
durée" ?
Face à toutes ces lacunes, l'Observatoire permanent de la Coopération française
formule plusieurs propositions :
- 1. Le contrôle démocratique du Parlement gagnerait à être étendu, ce qui suppose
une plus grande transparence de la part du gouvernement.
- 2. La Cour des comptes devrait examiner plus fréquemment les institutions publiques
impliquées dans l'APD et contrôler non seulement les comptes mais également le bon
emploi de l'argent public par rapport aux objectifs déclarés de l'aide.
- 3. Il conviendrait de procéder à une évaluation publique et contradictoire de la
politique française d'aide au développement et de préciser ce qui a réellement pour
objet le développement. Nous demandons à ce sujet que la politique française de
coopération fasse l'objet d'une évaluation par le Conseil scientifique de l'évaluation
(Premier ministre). La clarification des objectifs pourrait alors permettre de déplacer
sur d'autres budgets, hors APD, les activités qui, par ailleurs tout à fait légitimes,
ne relèvent cependant pas du développement. Les dépenses à moralité nulle seraient
quant à elles réservées aux fonds secrets. Il vaut mieux un peu plus de fonds
officiellement opaques que l'opacification de fonds officiellement transparents.
- 4. La politique française d'APD devrait être (re)pensée. Le système actuel,
caractérisé par la complexité et l'opacité, est certes cohérent pour les acteurs qui
en tirent profit. Ce qui toutefois pose problème, c'est qu'il n'a pas été conçu en
fonction du développement. Nous demandons que la logique financière actuelle illustrée
par la prééminence du Trésor, qui collectionne périodiquement toutes les dépenses
pouvant être classées en APD pour enregistrement au Comité d'aide au développement de
l'OCDE, fasse place à une réelle problématique de développement.
Mise à jour: 2 janvier 1997
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